Samedi 13 mars 2010 à 2:02

Sibony, Steiner


Exulté, exhalé, en un souffle court, il hurlait, nu sous les décombres de son corps, il hurlait des mots qui ne s'articulaient en aucun sens. À la cassure des mots, il hurlait: « Vive Babel!! Vive Babel et le bruit de sa ruine, quand la langue s'excède, s'accède, aux moments vifs où elle s'arrache... à elle même. » C'était ça sa langue, haletante, nourrie de syncopes et de suspens, le foyer de ses images, déchirée, à l'image de sa folie. Sa névrose au croisement de ses cris, et de leurs surdités. Il avait intégré des fragments d'Autre comme des corps étrangers, les points névralgiques de sa souffrance et de sa maladie, une gangrène qui le rongeait. On l'avait qualifié, on l'avait quantifié, on l'avait placé, dans une catégorie. Là, déjà, il s'évaporait. Castration. Dément! Dément, Démon, Des maux! Pourtant je voyais en lui des éclairs de vérité:

         « 
         Murs murmurants, relents, immensité, jouissance écorchée, des halètements sur le seuil du refoulé.
         Aux interstices de l'être: des noms en lambeaux.
         Déchirure, égarements. Présence apaisante. Mes peurs, son regard illumine. Recoins de mon âme.
         Un être parfait: un cadavre.
         Spasmes d'excès, vomissures étincelantes dans la blessure, la brisure d'un simple regard.
         Râle jubilant et mise à mort.  
         Mes fantasmes, mes fantômes: ma torture. J'habite le Néant. L'Oubli. Miettes de pensée.
         De passé.
         Croûtes, quand le soleil dévore les joues de mon sourire. Dimension, dilatation qui ne dure qu'
         un instant d'éternité.
         »

Non elle ne se sentait pas plus vivante. Elle accédait à un Autre en une fusion de cicatrices. Tacite. Et pourtant, seul le silence les unissait. Rien que le Silence. Et leurs regards ne trahissaient que des envies avortées. Elle en a craché des miroirs moites. Elle en a tiré des sonnettes muettes. Elle en a rongé des sens. Elle a surmonté l'encrassement, elle a écartelée les espoirs de l'insomnie, elle a creusé leurs tombes sur les montagnes de la Gloire. Et elle a perdu ses songes dans les aboiements des âmes errantes. Il avait raccommodé ses joues du bleu de ses yeux. C'était pour mieux poignarder ces grimaces de ses regards réprobateurs.

Le plus fou des deux, c'est à se demander. Lui, avait ramassé des morceaux d'elle éparses sur le parquet. Un parquet qui s'effondrait sous le poids de leurs griffures. Des cris incrustés dans la surface trop lisse. Comblant les vides. Les lacunes de son âme. Elle ne pouvait plus construire de futur sur les fondations bancales de ce monde, un trou de silence, un puits de folies. Un monde à l'agonie, Son monde. Alors, il a préféré partir, dégoulinant la peur, il a préféré fusionné avec son paysage. Ainsi, il n'a jamais vraiment disparu, il est resté ce point roulant fiévreusement sur l'horizon de sa raison. Elle est restée, rongée de doutes, rouillée de questions. Alors elle s'est murée pour éradiquer les renouveaux du bonheur, emmurée plutôt. Dans ce bunker, ce caveau, elle s'est prostrée longtemps. Dans cette impasse d'être. Mais par peur de la solitude, ou par suspicion d'une re-dite, elle avait laissé un entrebâillement, une faille dans la muraille. Les courants d'air ont fait le reste. Des rideaux sur les loups.

Puis vinrent des gens qui ne savaient pas. En eux, j'ai cru me reconstruire. En eux j'ai posé les premières pierres de la défaite et de l'éboulement. Car il plane toujours sur les fondations de mes peurs. Elles s'enracinent en des profondeurs insondables, sur les corps pourrissants du démon de mes enfances, l'innocente, et la souillée. Souillée d'insultes et de regards. Des regards que j'avais tenté d'enterrer de cicatrices. Lui aussi Il a les yeux bleus. J'entends la mer à ses levres. Il ne sait pas. Et c'est mieux ainsi. J'enterre mes cicatrices dans son regard. En silence.
Il portait son malaise en masque, pour cacher ses incohérences et ses manques. Son vide. Pour se cacher. Un masque sans trous, un masque sans yeux.

Tu n'étais pas muet mais aveugle, chacun sa faille.
Ton néant tenait dans tes fables.
Comme le mien tenait dans mes silences.
Dans mes césures.


Celles que tu avais tracées dans nos unions.

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