Les soubresauts du cadavre.

J'ai des souvenirs pendus aux cils et le froid me vomit son souffle dessus. Des grappes de brouillard râpé tètent les mamelles de la nuit. Ces buissons ardents éclaboussent les ténèbres de lueurs laiteuses. Le gel me vampirise, jusqu'à me saigner à blanc. Seulement, je reste là, à espérer un signe, qui allaiterai ma conscience. Pour briser l'apathie. Mais comment faire crier le néant? Quelle torture le fera répondre? Et si je tends l'oreille, me feras-tu l'aumône d'un égard? Ainsi, là, raisonne le vide. Las, tes mutismes éclatent, encore et encore, dans les cheveux du sommeil.

Pourtant du tréfonds de sa mort, je croyais qu'il s'adressait encore à moi. Oui! Il me parlait! depuis la pénombre sépulcrale jusqu'à l'aube éblouissante, il clamait ses murmures à mon esprit. Dans ma folie, il était la lumière aveuglante de mon désespoir et de mon égarement, la lumière qui me guidait vers une obscurité gluante. Et ma vie n'était plus que l'aura de son ombre. J'avais cependant sondé l'oubli, cet habit de misère qui glissait lentement sur sa peau lorsqu'il entrait dans l'eau grise de l'abnégation. Mais chaque fois, il en revenait plus brillant, auréolé d'un souvenir saillant, qui se brisait en l'a(r)mes d'or sur les réci(f)s de ma mémoire. Au fond, je me complaisais dans l'algie de ma démence, langoureusement accrochée aux vices, air de ce perpétuel dolorisme. Un abîme ouvert d'où je savais ne pouvoir ressortir et dont j'avalais avec délectation les relents fétides. Je voulais juste attendre une nuit de plus dans cette nébulosité ambiante, à fixer cet astre absorbant toute lueur, un trou noir à la félicité. Je cherchais à me fondre dans son immensité, à fusionner avec le creux qui se répercutait sur les parois de l'univers, éphémère rideau d'ennui étoilé.


Désormais, noyé dans l'obscurité, ton nom resonne comme le glas. La marche funèbre a commencé sa danse des ombres, fiévreusement vont les corbillards, à l'abandon de la terre véreuse. En chantant s'avance la procession des pantomimes fantomatiques, démembrés, gesticulant en un grotesque cortège. Je le regarde dérouler sa langue; elle s'élance à l'assaut du vide pour tenter de l'emplir de sa mélopée visqueuse. Ignorant que son acidité creuse un peu plus sa tombe à chaque lampée. Et l'insomnie des muses ronronne à mes oreilles. L'histoire se répète et je perdrai un morceau d'âme en plus. Et je lutte. Pour ne pas me déchirer. Juste hurler et pleurer, roulée en boule contre l'infini. Disloquée.

Dans ma course pantelante à sa possession, j'avais tissé le fil de son âme d'un cheveux d'or. Qu'il a mâché. J'avais léché ses cicatrices. Jusqu'à les éroder. J'avais arraché ses cils jusqu'à découdre ses yeux, les dévorer. J'avais joué sa symphonie mortuaire sur les claves des os de ma tristesse. Je voulais l'ingérer. Fusionner. Mais même ainsi il continuait à sursauter. À se débattre. À refuser. Ses frémissements étaient comme des supplications des(in)articulées. Pour que j'avale un peu plus de sa peau... Il vomissait ma dévotion, mais sa chair, elle, crépitait de joie.


Ainsi me voici, crachant sur tes plaies pour mieux les faire reluire. Face à mon reflet dans ce lac de larmes, j'incarne Narcisse; le nécrofil, le nécrofange. Alors, pleine de regards chancelants, j'éventre ma peine. Et sous la lune complice, l'agonie se fait claire, son éclat puissant baigne de ses rayons la roue du supplice, le cercle vicieux de la haine. Je sens le déchirement de mes entrailles et fébrilement je dépose les oeufs de la souffrance le long de la plaie béate. Je suis la blessure à la commissure de la réincarnation et de la décomposition. J'engendre la gangrène le long de l'écorchure qu'est ton âme. J'absorbe ton être pour goulûment m'ou(v)rir de faim. Je lèche ta meurtrissure de mes dents creuses. J'ai des lambeaux de corps qui palpitent devant les yeux. J'entends grincer le silence de ses mandibules molles. Un vrombissement de mille baisers éthérés. Je ne suis plus seule. Je suis la part d'une entité animée d'une seule volonté. Ronger. J'ai maintenant un but. Transformer. La fin d'un temps. Le début d'un autre. Car de ta chair, je bâtirai les cendres funestes d'un nouveau monde. J'éradiquerai les souvenirs poisseux de ton avenir de souffre. Et je mange, pour m'emplir de toute cette inanité. J'ai pillé cette aberration qui se disait humaine, cette vacuité larvaire. Je t'ai pillé, je t'ai foulé de ma salive salvatrice, je t'ai violé de tout le souffle dont j'étais capable, j'ai empli mes poches de ton néant et, riche de ton absence, je me suis échouée sur les rivages de la fécondité. Pour revivre au travers de ta mort. Pour communier au travers de ta souffrance, ma su(b)stance. Pour creuser ton âme au plus profond du trou. Dans ce tunnel droit vers ton essence, j'ai déversé mes espoirs de résurrection, j'ai dégorgé mes vers. Et bien que ton âme décharnée persiste à secouer les replis de ta carcasse,


Perception obscure


les soubresauts de ton cadavre ne sont que ta danse macabre vers ta nouvelle (id)entité astrale.